Notre conte 2021 : La montagne magique

Publié le par Autour de Nicole et Pierre

Voici revenu le temps de notre conte de l'Avent.

Jour après jour, chapitre après chapitre, nous allons vous rapporter une nouvelle histoire de notre vieille amie, la femme sans âge du pays de n'importe où.

Êtes-vous bien installés? Nous pouvons commencer ...

Lundi 29 novembre 2021

Il y a quelques jours, le brouillard est tombé sur notre campagne. Une véritable purée de pois , si épaisse que c’est à peine si nous pouvions voir le bout des volets lorsque nous les avons refermés.

Le jardin avait disparu. Un silence poisseux régnait et l’humidité nous étouffait. Nous refermâmes vite les fenêtres en frissonnant, décidés à rester retranchés dans la maison. Nous nous sentions bien seuls au monde…

Bien seuls ? Pas tout à fait car nous entendîmes une voix bien connue derrière nous :

« Vous vous sentez seuls au monde ? »

Mais, oui ! C’était la femme sans âge du Pays-de-n’importe-où, qui raconte des histoires de n’importe quoi et qui rend visite, les nuits sans lune, à n’importe qui pour raconter des histoires si étonnantes que l’on ne peut s’empêcher de les écouter et … d’y croire.

Nous fûmes tout contents de la recevoir !

« Bonsoir, bonsoir chère amie ! Nous voici moins seuls avec vous malgré ce brouillard qui nous isole tant! »

« Mais, ce n’est rien chers amis ! Si vous saviez comme une montagne du Pays-de-n’importe-où a pu être isolée au point de disparaître dans un vide total pendant des temps infinis ! » 

« Ah bon ! Racontez-nous ... »

«Alors, installez-vous confortablement et écoutez ceci... »

Mardi 30 novembre 2021

Il était donc, au Pays-de-n’importe-où, une montagne dont le sommet était si haut et si perdu dans le vide que tous les nuages, les brouillards et les neiges s’y accumulaient au point de le cacher totalement. De la vallée nul ne pouvait le voir. C’était comme si la montagne était tronçonnée et surmontée d’un grand vide sombre et maléfique.Comme si une gomme géante l’avait effacé.

Personne n’avait l’idée saugrenue et téméraire de s’y aventurer, de près ou de loin. Le vide, c’est trop dangereux et cela manque bien d’intérêt, disait-on. Que pourrait-il donc pousser dans le vide ? Qui pourrait vivre, ou plutôt survivre dans le vide ? D’ailleurs personne n’était jamais descendu de ce vide...

Non ce grand espace obscur et absent était totalement oublié des regards et des mémoires. Autant se tourner vers les rayons du soleil et les innombrables richesses qu’ils éclairent…

Mais les gens de la vallée se trompaient bien. Cette absence de sommet, ce vide absolu, inaccessible à leurs regards était habité !

Mercredi 1er décembre 2021

Oui, mes bons amis! Cet espace vide, ce grand néant, cet invisible insondable abritait des êtres humains ! Oui, des êtres humains ! Mais si particuliers qu’on ne pouvait les trouver qu’au Pays-de-n’importe-où, bien sûr !

C’étaient les Impavides. Ils n’étaient pas très nombreux, deux ou trois familles, mais ils avaient tous la particularité de ne pas parler. Sans doute influencés par le grand vide qui les cernaient et l’absence totale de relation avec d’autres populations, ils ne communiquaient que par des regards et des mimiques. Et encore, ils économisaient leurs gestes comme si le vide les habitaient aussi.

En fait, les Impavides étaient un petit peuple à la fois calme, tranquille, impassible, serein, placide, imperturbable, indifférent et surtout très silencieux.

Un dialogue chez les Impavides ressemblait à ceci :

-(vide) ?

- (vide) !

- (vide), (vide) ??

- (vide), (vide), (vide) !!!

Ce que l’on pourrait traduire si les regards étaient gais par :

-ça va ?

-ça va !

-ça va bien ??

-oui, ça va très bien !!!

Mais si le regard était sombre :

-ça va ?

- bof !

-ah bon ??

-à quoi bon !!!

Qu’importe ! Ils vivaient ainsi, sans se soucier ni du vide ni de l’au-delà du vide. Ils ne gênaient personne ; ils n’étaient gênés par personne.

Jeudi 2 décembre 2021

Les Impavides ne parlaient pas et ne ressentaient aucune grande émotion : ni joie, ni tristesse, ni peur, ni colère, ni dégoût, ni gentillesse, ni méchanceté, ni envie, ni jalousie. Ils planaient dans le vide. Ils étaient habités par le vide.

Il ne se passait rien dans ce monde inexistant aux yeux des autres. Rien ne pouvait surprendre les Impavides. Tout était égal et le temps glissait sur leurs têtes fièrement dressées mais … vides, définitivement vides.

Comme les Impavides n’éprouvaient aucun besoin particulier, leurs vêtements étaient d’une extrême sobriété et leurs demeures totalement dépouillées de toute décoration ou objet inutile.

Cernés par le grand vide, ils savaient qu’ils ne pouvaient déambuler au-delà de certaines limites et s’en contentaient sans état d’âme particulier. Ils vivaient en autarcie, travaillant sans se plaindre et se reposant lorsqu’il le fallait. L’école n’existait pas car les parents transmettaient aisément le (vide) à leurs enfants.

Quant au sens de la fête, il leur était totalement étranger. Les naissances, les mariages, les anniversaires se vivaient sans y penser, plein de dialogues de - (vide) ? - (vide) ! . Quant aux fêtes carillonnées elles étaient réduites à leur simple mention sur le calendrier. Les Impavides ne ressentaient nullement le besoin de se réunir pour les célébrer.

Vraiment, il ne se passait rien au pays du grand vide.

Vendredi 3 décembre 2021

Il ne se passait rien… jusqu’au jour où un événement incroyable se produisit … dans l’indifférence totale des Impavides !

C’était par une nuit claire. Le ciel était illuminé d’étoiles. De belles étoiles brillantes et scintillantes à souhait. N’importe quel humain se serait arrêté pour lever la tête et contempler l’infinie beauté de ce spectacle. Mais les Impavides, eux, restaient imperturbables. Avaient-ils ou non conscience de cet enchantement ? Maîtrisaient-ils à ce point leurs émotions ? Étaient-ils tout simplement vides de sentiment ? Nul ne le saura jamais. Toujours est-il qu’ils allaient et venaient comme à leur habitude, échangeant ici et là de vagues « (vide) ! »

Dans le ciel en revanche, les étoiles formaient  un véritable ballet, filant à droite et à gauche, toutes pétillantes et frétillantes, libres dans l’espace sans limite. Peu à peu, accompagnée de longues traînes de poussière d’or, leur danse s’accéléra, s’accéléra, s’accéléra…

Samedi 4 décembre 2021

Comme ivres de leurs courses, les étoiles partirent en tous sens , zébrant le ciel de leurs lumières et frôlant la montagne et son absence de sommet. C’est alors qu’une petite étoile, une « fi-fille » toute émoustillée fonça droit sur le grand vide, invisible pour elle comme pour ses sœurs.

Et boum ! Elle tomba la tête la première dans le domaine des Impavides. Le choc fut tel que tous tressautèrent sur place et que notre Fi-fille resta toute étourdie.

Nullement perturbés, les Impavides vinrent les uns après les autres voir ce qui venait d’arriver et, constatant que la petite pierre dorée scintillait doucement et qu’elle ne représentait aucun danger pour eux, ils repartirent les uns après les autres en échangeant quelques (vide) ! au passage.

La petite Fi-fille se retrouva seule au milieu du grand vide, ne comprenant toujours pas ce qui avait bien pu lui arriver...

Dimanche 5 décembre 2021

Fi-fille mit un certain temps à reprendre ses esprits. Elle regarda autour d’elle et … ne vit rien ! Rien qu’un grand vide !

« Broutilles, broutilles ! Où suis-je tombée? Je suis bien loin de mes sœurs et de l’espace infini où nous dansions chaque nuit ! Malgré ma robe de lumière, je ne vois rien autour de moi… ! »

En effet, le grand vide absorbait toutes les lumières et les formes.

Elle voulut secouer sa longue traîne de poussière d’or pour mieux éclairer mais las ! Rien n’y fit car il n’y avait rien à éclairer. Elle ne pouvait percevoir que sa propre tenue.

Elle leva les yeux vers le firmament pour retrouver ses sœurs et attirer leur attention. Mais le ballet continuait en quadrilles effrénés sans que personne ne la remarque, gommée à son tour par le grand vide.

« Broutilles, broutilles ! Il faut trouver une autre solution ! »

Lundi 6 décembre 2021

« Je ne vais pas rester ici sans rien faire ! Allez, je me lève, je prends de l’élan et je vais vite me lancer dans l’espace pour rejoindre mes ingrates de sœurs et reprendre nos folles échappées  la haut dans le ciel ! »

Fi-fille voulut se redresser mais, las ! Elle n’avait plus de force. Impossible de bouger ni de remuer : elle n’était plus qu’un pierre écrasé dans le sol. Une très belle pierre, dorée et scintillante mais figée et inanimée. Fi-fille ragea :

« Broutilles, broutilles! Est-ce sol vide qui me bloque ainsi ? Il est vrai que je n’avais jamais quitté l’espace infini où rien ne nous empêche de filer en tous sens !  Comment faire pour y retourner? Quelqu’un pourrait peut-être me relancer dans le ciel  et je pourrai étirer de nouveau ma belle traîne d’or? »

Mais elle n’aperçut personne dans les environs ; tous les Impavides étaient repartis aux quatre coins de leur grand vide…

Mardi 7 décembre 2021

Fi-fille se sentit bien abandonnée. Elle poussa un long soupir :

« Mais où suis-je tombée ? Quelle est cette contrée où le vide absorbe tout, lumière, sons, parfums ? Sans ma traîne scintillante, je ne percevrais même pas le sol ! Et ces habitants bizarres, qui ne parlent pas et ne ressentent aucune grande émotion ? Ni joyeux, ni tristes, ni peureux, ni fiers, ni gentils, ni méchants .... Ils sont vides eux-même ! »

Elle poussa un soupir encore plus long : « Et maintenant, je me mets à parler toute seule ! C’est bien le seul bruit que je puisse entendre ici ! Broutilles, broutilles ! Après tout, puisque je ne peux pas me relever, je vais appeler bien fort pour attirer l’attention du ciel et de la terre ! »

Fi-fille se mit à crier, à hurler jusqu’à s’égosiller mais personne ne lui répondit, ni les étoiles qui filaient dans le ciel noir, ni les habitants de la montagne. Aucun son ne s’élevait au-dessus d’elle. Le grand vide absorbait tout, comme un monstrueux édredon.

Mercredi 8 décembre 2021

Comprenant que personne ne pourrait jamais l’entendre, Fi-fille commença à s’inquiéter.

« Broutilles, broutilles ! Me voilà en bien mauvaise posture : mas appels et mes cris ne peuvent être entendus de personne ! Je vais d’abord reprendre mon souffle avant de chercher une autre solution. »

La petite étoile se calma et prit une grande aspiration, puis deux, puis trois… Elle resta stupéfaite: « Broutilles, broutilles ! Mais il n’y a vraiment aucune odeur, aucun parfum ici ! Ni fleurs, ni fruits, ni herbe, ni terre ! Il n’y a aucune odeur ici ! »

Elle essaya encore de respirer plus fort mais l’air lui manquait encore et encore! Non seulement le grand vide absorbait la lumière les sons et les odeurs mais il raréfiait l’air aussi !

Fi-fille se sentit prise d’un vertige . Tout se mit à tourner autour d’elle et elle perdit conscience.

Jeudi 9 décembre 2021

Elle ne voyait plus rien, elle n’entendait plus rien, elle ne sentait plus rien, elle ne pensait plus à rien : la petite étoile filante avait rejoint le grand vide !

Sa longue traîne scintillante de mille feux pâlissait peu à peu, s’enroulant comme un nid autour de la petite pierre. Les délicates étincelles vacillaient, luttant pour ne pas s’éteindre et préserver encore ce qui restait de notre pauvre Fi-fille. Elles se frottaient les unes aux autres pour entretenir leur douce lueur et tenter de lui redonner vie .

Le spectacle était touchant mais hélas bien inutile puisque personne , ni étoiles du ciel ni Impavides de la montagne, ne pouvait le voir et personne, ne pouvait lui porter secours .

Fi-fille allait s’éteindre dans une indifférence totale.

L’histoire s’achèverait-elle donc ainsi, avec la disparation de la petite étoile filante dans la misère du grand vide ?

Vendredi 10 décembre 2021

Mais non ! L’histoire ne s’arrête pas là !

Au bout de quelque temps, l’écheveau pâlissant de la traîne se mit à bouger légèrement. Fi-fille n’avait cependant pas repris conscience. C’étaient comme de petits frissons ou de minuscules ondulations. De toute évidence, quelque chose bougeait sous la traîne et lui donnait comme un semblant de vie.

Peu à peu les frissons augmentèrent, se transformant en petites vagues irrégulières. Un par un, les longs fils dorés se mirent à scintiller plus intensément. Puis, toujours entraînés par cette force mystérieuse, ils s’étirèrent doucement et longuement. Comme si les petites dents d’un peigne délicat les caressaient et les lissaient .

Bien détendue, la traîne se remit à briller de mille feux et à frétiller joyeusement, secouant notre petite étoile qui finit par se réveiller toute étonnée.

« Broutilles, broutilles ! Que se passe-t-il ? Ma traîne brille à nouveau ! Et quels sont ces petits chatouillis dans mon dos ? »

Samedi 11 décembre 2021

Fi-fille voulut se relever pour voir d’où venaient ces petits chatouillis mais las ! Elle resta encore bloquée sur le sol, comme une pierre quelconque . « Broutilles, broutilles ! Je vais donc devoir finir mes jours dans ce vide affreux sans rien faire  si ce n’est contempler ma traîne dorée ! «  Disant ces mots elle constata avec effroi que seule sa traîne brillait encore tandis qu’elle-même n’était plus qu’un caillou sombre, aussi sombre que le grand vide.

Et toujours ces chatouillis ! Si elle pouvait voir d’où ils provenaient !

Pour se consoler, elle contempla sa traîne qui avait repris des couleurs et s’étirait peu à peu « Broutilles, broutilles ! Quel est ce mystère ? Habituellement ma traîne me suit mais ne bouge pas seule ! Aurait-elle maintenant sa propre vie ? Ne va-t-elle pas partir sans moi et loin de moi ? »

Une grande tristesse envahit Fi-fille à l’idée de se retrouver seule, définitivement abandonnée de tous dans ce grand vide sinistre.

Dimanche 12 décembre 2021

Et ce chatouillis qui continue et s’amplifie sous son dos ! Fi-fille finit par s’inquiéter et voulu comprendre. « Ce fourmillement vient-il de mon dos ou du sol ? ». Elle se tortille en tous sens et pousse un grand cri en voyant soudain surgir dans l’ombre autour d’elle une myriade de petites ombres grouillant en tous sens. « Broutilles, broutilles ! Quelle horreur ! C’est affreux ! Je vais être dévorée par ces êtres ! »

En l’entendant s’égosiller ainsi, toute la petite armée se dispersa en tous sens et s’évanouit sans un bruit dans le grand vide. Le chatouillis disparut dans le dos de Fi-fille ; sa traîne perdit de sa couleur et commença à se recroqueviller à nouveau.

« Broutilles, broutilles ! Me voilà soulagée de ce chatouillis ! Mais pour combien de temps ? Et toi, ma belle traîne pourquoi deviens-tu si triste tout à coup ?Ah ! Si je pouvais me relever et vite filer avec mes sœurs dans le ciel ! »

Lundi 13 décembre 2021

Alors que Fi-fille se lamentait sur son triste sort, les petites ombres ressortirent peu à peu du grand vide se faufilant d’abord doucement sous la traîne qui s’étira à nouveau et se remit à scintiller. L’étoile remarqua le manège et s’étonna : « Broutilles, broutilles ! Mais, mais, ce sont ces petits êtres grouillant qui font revivre ma traîne ! Mais alors ! Ces chatouillis sous mon dos me seraient peut-être profitables ? Petits êtres, petits êtres ! Qui que vous soyez venez m’aider ! »

Ainsi encouragée, toute la petite armée vint se faufiler autour d’elle, aussi silencieuse que des Impavides. Les petites ombres s’entrecroisaient, se superposaient , les unes très occupées à continuer d’étirer la traîne les autres se glissant sous l’étoile qui ressentit à nouveau les chatouillis, pleine d’espoir cette fois. Encouragés par son calme revenu, des petits êtres commencèrent à grimper sur Fi-fille qui put les distinguer.

Découvrant qui ils étaient, elle poussa à nouveau un cri !

Mardi 14 décembre 2021

« Des cloportes ! » Fi-fille eut un sursaut de dégoût qui éloigna la petite troupe et elle se sentit à nouveau bien seule.

« Broutilles, broutilles ! Ces bestioles ne me dévoreront pas ! Elles ne s’intéressent qu’aux détritus végétaux . Et, après tout puisqu’elles les transforment en humus bien riche, peut-être sauront -elles transformer ma misère en bonheur ?? » Et, malgré sa répugnance, elle laissa revenir les minuscules crustacés qui reprirent fébrilement leur activité.

Ils étirèrent encore la traîne, encore et encore jusqu’à ce qu’elle soit bien tendue et commence à faire bouger l’étoile. « Broutilles, broutilles ! Voilà que je suis tirée par ma traîne ! Bravo mes amis les cloportes ! Vous voilà transformés en petits chevaux de trait ! Quelle bonne idée ! Emmenez-moi vite loin d’ici ! »

Toujours aussi silencieux, les cloportes reprirent leurs efforts, les uns soulevant le dos de l’étoile et les autres tirant la traîne vers l’avant.

Le convoi avança lentement, mais sûrement.

Mercredi 15 décembre 2021

La tâche n’était pas aisée. L’étoile était bien lourde et la traîne bien longue pour les braves cloportes.Mais ils étaient nombreux et se relayaient au fur et à mesure de leur avancée, sortant de nulle part par milliers.

Fi-fille en fut toute émue « Broutilles, broutilles ! Je ne sais pas où nous allons ainsi mais pour l’instant le déplacement est plutôt agréable et délicat. »

A peine avait-elle prononcé ces mots que les convoi butta contre un énorme obstacle qui renversa pêle-mêle bestioles et traîne sur la pauvre étoile. Il y eut une grande confusion, les cloportes grouillaient en tous sens, les fils dorés s’emmêlaient et Fi-fille désespéra à nouveau. « Broutilles, broutilles ! Le voyage n’aura pas été bien long ! Me voilà encore en bien mauvaise posture ! »

Mais les braves petits soldats crustacés s’organisèrent, se remirent à tendre la traîne et se glissèrent sous l’étoile pour reprendre leur progression.

Il s’apprêtaient à repartir à l’assaut de l’obstacle quand celui-ci se mit brusquement à remuer.

Jeudi 16 décembre 2021

Nouvel affolement, nouvelle dispersion, nouveau désespoir de Fi-fille.

« Broutilles, broutilles ! Que se passe-t-il encore ? Un tremblement de terre ? Une éruption volcanique ? »

Le sol semblait en effet se soulever petit à petit, de plus en plus haut et , peu à peu, une grande silhouette se détacha. Un monstre, pour les cloportes cachés ici et là! Un géant pour l’étoile échouée et solitaire! En fait, ce n’était qu’un Impavide qui se réveillait après un bon somme dans la nature.

Après s’être longuement étiré, il constata sobrement que le joli caillou était arrivé par il ne savait quel miracle sur son épaule. Il se dit très tranquillement « (vide), (vide) ,(vide), (vide) ? », ce qui voulait dire « tiens donc c’est l’étoile que nous avons vu plus tôt ; que fait-elle donc sur mon épaule ? ». Il la prit délicatement, la secoua doucement pour déplier la traîne et , comme s’il souriait, il la replaça sur le sol. Puis il partit.

Vendredi 17 décembre 2021

La petite troupe se reforma aussitôt. Chacun reprit ses fonctions, les uns tirant la traîne, les autres soulevant l’étoile encore une peu secouée par l’événement. « Broutilles, broutilles ! J’ai eu la peur de ma vie ! Mais finalement l’indifférence de cet Impavide nous aura épargnés!Reprenons notre progression mes bons amis, puisque vous semblez savoir où aller ! »

Et Fi-fille se détendit, se laissant porter par les cloportes.

Le convoi avançait lentement mais sûrement , prenant mille précautions pour que les fils dorés reste tendus sans rompre . Il finit par gagner une petite route bien plus facile d’accès que le talus terreux et le mouvement s’accéléra un peu, les petits crustacés continuant à se relayer sans cesse, dans un grouillement permanent.

« Quelle belle organisation ! » songea Fi-fille « Broutilles, broutilles ! Je n’aurais jamais imaginé que je pourrais autant apprécier une nuée de cloportes ! »

Et elle se laissa bercer par le mouvement du cortège à mille pattes,, soudain rassérénée et souriante.

Samedi 18 décembre 2021

L’accalmie fut de courte durée. Une grande ombre couvrit brusquement la route et la petite cohorte. Tout le monde tressauta sous l’effet du martèlement de la chaussée par des pas lourds et rapides. Avant même que l’étoile et ses amis aient compris ce qui pouvait bien arriver, un grand choc les propulsa tous en l’air. Fifille retomba très loin sur la route et les cloportes se trouvèrent dispersés ici et là.

Sous l’effet du choc, Fi-fille crut avoir rejoint ses sœurs en voyant mille étoiles tourner en rond autour d’elle mais le mirage s’estompa vite . « Broutilles, broutilles ! Mes petites sœurs ne m’abandonnez pas ! Pourquoi ne puis-je vous suivre ? Broutilles, broutilles ! Mais je suis toujours sur cette route au milieu du grand vide, très loin de mes braves petits soldats!Que s’est-il passé ? »

La chaussée se mit à nouveau à résonner . Les pas lourds, encore plus rapides et claudicants se rapprochèrent et l’ombre immense couvrit la petite étoile.

Dimanche 19 décembre 2021

Craignant d’être écrasée ou percutée à nouveau, Fi-fille n’osait pas regarder. L’ombre se pencha et émit un douloureux « (vide), (vide) ,(vide), (vide) ! » qui signifiait : « Voilà donc sur quoi mon pied s’est heurté! Une simple pierre ! Mais… non il y a une poudre dorée derrière elle : c’est l’étoile filante qui s’est échoué tout à l’heure dans notre grand vide ! ». Il se baissa, la ramassa, étira à son tour sa traîne , la replaça le long de la route pour que personne d’autre ne trébuche sur elle et repartit en boitillant .

Fi-fille reprit ses esprits : « Broutilles, broutilles ! Quelle émotion ! Je crois que cet Impavide a eu encore plus de mal que moi, si tant est qu’il ressente de la douleur ! » Elle se tourna et vit arriver dans un grouillement des plus chaotiques tous les cloportes qui avaient survécu au choc. Ils étaient bien essoufflés car le coup avait lancé l’étoile très loin sur la route et ils avaient dû beaucoup courir pour la rattraper. Mais, plein de courage et de détermination, ils reprirent leurs postes, qui à la traîne, qui sous la pierre et repartirent droit devant.

Lundi 20 décembre 2021

Toute la petite troupe semblait très déterminée à mener une mission à terme. « Mais quelle mission ? » se demandait Fi-fille qui voyait défiler les bas côtés de la route à belle allure. « Broutilles, broutilles ! J’espère qu’ils m’emmènent vers le moyen le plus sûr de retrouver mes sœurs dans l’espace. Malgré leur dévouement je trouve quand-même ce séjour au milieu du grand vide bien sinistre ! »

Au bout d’un certain temps, la petite étoile fut remplie d’espoir en voyant le paysage se dégager et des maisons apparaître.. ainsi que l’immense silhouette d’un Impavide  barrant la route!

« Broutilles, broutilles ! Oh non ! Que va-t-il se passer encore? Où vais-je encore être propulsée ? »

La cohorte ralentit son train et finit par s’arrêter doucement aux pieds de l’Impavide. Les cloportes se mirent grouiller en tous sens autour de l’Impavide et de Fi-fille, lui faisant de nouveaux plein de petits chatouillis comme autant de confidences, puis se dispersèrent et disparurent dans le grand vide !

« Broutilles, broutilles ! Ces chatouillis-là étaient leur adieu ! Mes amis cloportes m’ont donc abandonnée aux pieds de ce géant ! Je crains le pire ! »

Mardi 21 décembre 2021

L’Impavide se baissa et , délicatement, saisit la petite étoile. Il pencha la tête , la contempla avec une certaine tendresse et émit doucement un « (vide), (vide) ,(vide), (vide) ! » qui signifiait : «petite princesse tombée du ciel, tu sembles bien fatiguée, viens, je t’emmène chez moi ». Et il descendit à grandes enjambées vers le village.

Sa grande main formait comme un berceau dans lequel Fi-fille se sentit douillettement installée. « Broutilles, broutilles ! Je ne sais ce que ce géant veut faire de moi mais pour l’instant je peux me reposer tranquillement ! »

L’Impavide arriva devant sa maison et entra avec son trésor dans la main. Comme toutes les autres demeures impavides, elle était totalement dépouillée de toute décoration ou objet inutile. Fi-fille frissonna « Broutilles, broutilles ! Quel vide ! Cette maison est aussi triste que son environnement ! » Elle entendit des bruits au fond « Broutilles, broutilles ! La maison n’est pas si vide que cela ! Que va-t-il m’arriver encore ? »

Une sorte de sourire glissa sur le visage de l’Impavide qui lança un long « (vide), (vide) ,(vide), (vide) ! »

Mercredi 22 décembre 2021

Une femme arriva, berçant dans ses bras un bébé : « (vide), (vide) ,(vide), (vide) ! » qui signifiait : « mais c’est la petite étoile tombée aujourd’hui ! » Elle tourna le bébé vers la main de l’Impavide en lui disant : « (vide), (vide) ,(vide), (vide) ! » qui signifiait : regarde ce que ton père nous apporte ! »

L’enfant écarquilla les yeux , attiré par la traîne dorée qui scintillait sous la pierre sombre. Il rit et se mit à gazouiller : « areuh , areuh! » Les parents se regardèrent, étonnés de cette expression inconnue, mais elle était si agréable qu’ils se prirent à … sourire ! Un beau et large sourire comme ils n’en n’avaient jamais eu et qui les emplit d’aise.

Voyant sourire ses parents, le bébé reprit de plus belle toute une gamme de «areuh , areuh! » et les parents sourirent de plus en plus fort jusqu’à rire franchement. L’enfant attrapa l’étoile et se mit à la câliner en caressant les longs fils dorés.

Fi-fille frissonna : « Broutilles, broutilles ! Comme ses petits doigts me font du bien ! Pourvu qu’il ne me laisse pas tomber ! »

Mais le bébé garda fermement l’étoile contre lui et s’endormit avec elle. Les parents le couchèrent et la petite chambre toute vide se mit à scintiller des mille reflets de la traîne.

Jeudi 23 décembre 2021

Le lendemain matin, les parents Impavides furent tout étonnés en se découvrant la lumière qui éclairait vivement toute la maison : jamais ils n’avaient vu pareil éclat chez eux. Ils comprirent que la source lumineuse venait de la chambre du bébé qui vocalisait de magnifiques «areuh , areuh! ». Ils sourirent et coururent vers le berceau tout brillant.

Le jeune chanteur riait en câlinant la petite étoile qui avait retrouvé toute sa beauté et scintillait de toutes ses forces. « Broutilles, broutilles ! » s’extasiait Fi-fille, « j’ai retrouvé toutes mes forces et mon éclat dans ces douces menottes ! Merci ! Merci ! »

Intrigués par l’inhabituelle lumière venant de la maison, les voisins, puis tous les habitants du grand vide rendirent visite aux deux parents Impavides qui leur transmirent leurs sourires et leurs rires. Peu à peu, on entendit ici et là jaillir des mots et des bribes de phrases ressuscités des temps immémoriaux : « C’est beau ! » « Quel bonheur ! » « Merci petite étoile ! »

Fi-fille se mit à frétiller dans le berceau ; le bébé, tout souriant comprit le message et, avec de magnifiques «areuh , areuh! », ouvrit ses menottes pour libérer son trésor. Fi-fille s’ébroua, couvrant toute l’assistance de poudre d’or. Ses forces revenaient et elle s’élança au-dessus du village qui se mit à briller de mille feux.

Vendredi 24 décembre 2021

Baignés de lumière, les Impavides sortaient de toutes les maisons et se rassemblèrent sur la place du village. Ils regardaient la belle étoile danser au-dessus de leurs têtes . Ils ressentirent soudain tout un flot de sentiments bienheureux. Ils dressèrent un immense sapin au milieu de la place pour que Fi-fille puisse se poser et rester visible de tous.

La lumière s’étendit si loin que le grand vide disparut et que les gens de la vallée virent soudain apparaître le sommet de la montagne, nimbé de clarté.

Les Impavides entendirent alors le carillon des cloches de la vallée qui s’étaient mises à sonner et comprirent, eux qui n’avaient jamais fêté quoique ce soit, que Noël était là. Ils se mirent à chanter, oui à chanter ! Des noëls traditionnels, des cantiques : tout leur revenait à la mémoire !

Fi-fille du haut de son sapin se réjouit de voir le pays ainsi transformé. « Broutilles, broutilles !  Moi qui voulait vite rejoindre mes sœurs dans l’espace, je ne peux pas repartir tout de suite ! »

Elle resta toute la journée de Noël puis, appelée par ses sœurs, elle repartit les rejoindre, non sans avoir promis aux Impavides de revenir.

C’est ainsi que chaque année, à Noël, la montagne magique réapparaît , merveilleusement lumineuse. Et entre temps ? Non, non, les Impavides n'étaient pas redevenus impassibles et silencieux ! Non, ils gardaient la lueur reçue dans leurs cœurs et éclairaient eux même le grand vide de leur joie et de leurs chants...

Fin

 

 

Publié dans L'heure du conte

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